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Une nouvelle atmosphère s’est enracinée à la galerie Yakin et Boaz de Casablanca depuis le 11 décembre, et ce jusqu’au 4 janvier 2014. L’exposition événement « Casa-Pandor » marque l’année d’existence d’une jeune galerie qui s’est imposée dans le paysage culturelle marocain avec force et talent. Ali Kettani, fondateur de la galerie, présente en primeur la dernière série d’œuvres de l’artiste Carole Schoettel. Introduisez-vous par la grande porte, nagez un moment et immergez-vous dans l’univers de Schoettel, notre Pandore contemporaine.
Casablanca, la ville où je vis, où tu vis, la ville où nous vivons. La ville où l’artiste Carole Schoettel vit et travaille. La ville, ma ville, ta ville, notre ville. Sujette à des interprétations et des visions multiples, croisées et bigarrées. Casablanca où chacun crée et imagine son univers, son atmosphère de vie, de rêves et de pensées. Carole Schoettel, elle, retranscrit avec ses pinceaux et sa peinture à l’huile son Casablanca, celui qu’elle voit, qu’elle vit, qu’elle respire. Sa réalité. Elle nous ouvre la porte d’un Casablanca que nous ne connaissions pas, l’autre Casablanca, son Casa-Pandore.
Carole Schoettel emploie la technique de la peinture à l’huile depuis l’âge de 15 ans. Son affection pour la peinture l’a poussée à rentrer dans une école d’arts appliqués à Paris, puis à l’école des Beaux-Arts de Casablanca. Elle a été l’élève de l’artiste constantin Nepo, et a travaillé à ses côtés sur des ouvrages à Tanger pour l’hôtel Mövenpick, ou encore à Marrakech et Casablanca. La quête initiatique de Carole Schoettel se poursuivra en Europe, dans le pays de Cervantes, l’Espagne, où elle rénova des cathédrales, puis en Serbie, à Belgrade, où elle étudia l’esthétique de l’art des Balkans. Elle posa ensuite ses valises d’artiste à Dakar pour produire un travail qui fut exposé à la Galerie Africaine de Dakar en 2008. Carole Schoettel est une artiste rare, ayant encore peu exposé son travail. Elle est rentrée au Maroc en 2011, et travaille depuis sur la série de toiles rassemblée et exposée à la galerie Yakin et Boaz aujourd’hui.
Obsession Casablanca
En rentrant dans la galerie, les œuvres happent notre regard, nous absorbent tout entier. Suspendus aux cimaises, des œuvres de très grands formats attirent l’œil. Une déferlante de toile du firmament azur. Carole Schoettel représente l’atmosphère terrestre de Casablanca, l’air, l’impalpable, l’immatériel, le fugace. Elle le cristallise, l’adopte sur la toile comme on capture l’image sur la pellicule photographique. Une série de ciel casaouis. On imagine Carole Schoettel traverser en voiture Casablanca sur le siège passager, la tête couchée sur le côté pour observer et humer avec délectation le ciel. On sent que l’artiste s’enorgueillit de ce ciel marocain, indéniablement remarquable, que l’on perd souvent de vue. Elle capture l’incapturable avec obsession. Elle répète, elle s’obstine, elle persiste. Tel un Van Gogh capturant son image à différents instants de sa vie, Carole Schoettel capture avec frénésie le ciel casaoui dans tous ses états. Elle ne veut plus en partir, et cette obstination artistique vorace fascine. L’aplat et le dessin sont fins, sensuels, légers, troublants, comme si Carole Schoettel prenait le pinceau pour redessiner avec exactitude et précision le monde. Un monde qu’elle nous donnerait à voir. Elle peut-être considérée comme une peintre de l’hyperréalisme, mouvement né aux Etats-Unis dans les années 60, aussi appelé « photorealism » ou « superealism » s’appuyant sur la photographie pour scruter et analyser le réel, jusqu’à le copier. Ses ambassadeurs ne sont personne d’autre que l’immense Chuck Close, portraitiste de génie, qui délivre des représentations en gros plan du commun des mortels aux icones contemporaine que sont Kate Moss ou le Dalaï-Lama, ou encore le grand Duane Hanson, qui nous transporte au côté du peuple américain, en réalisant des sculptures choc grandeur nature, portrait sociologique et critique d’une Amérique contrastée. Carole Schoettel, la « portraitiste à l’huile de Casablanca », capte la ville blanche à différents instants de la journée. La beauté des œuvres hypnotise le regard. Mais nous n’en oublions pas pour autant nos problèmes de pollution atmosphérique, la quantité de véhicule circulant, l’épouvantable qualité du carburant qui coule dans les veines de nos voitures, nos usines polluantes et nauséabondes qui nous encerclent, la mort agonique de notre écosystème, et l’influence déplorable de toute cette pollution sur notre santé, provoquant les maladies les plus graves. Regarder le ciel, c’est aussi se demander combien de temps notre haute et basse atmosphère tiendra, et nous protègera, et ce questionnement pousse à des réflexions, et une conscience décuplée des effets de la pollution sur notre santé, elle que nous causons tous, respectivement, à chaque seconde de notre vie. Qu’on se le dise une fois pour toute, Casablanca est la ville la plus polluante et polluée du Maroc, dépassant tous les standards nationaux et internationaux. Industries et attelages en tout genre en sont la cause directe, et elle ne cesse pourtant de s’accroitre. Carole-Pandore ne nous dévoile que la boite de Pandore, en surface. Avertissement, mise en garde ? Résisterons-nous ou nous soumettrons-nous à notre décadence ? La boite de Pandore, Shoettell ne l’a encore qu’entrebâillée, et celle-ci ne s’est pas encore complètement ouverte, bien que ses maux commencent à s’éventer mielleusement sur notre planète.
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Son travail acharné sur le ciel et leurs lumières nous évoque un brillant amoureux du ciel, un grand peintre anglais du XIXème siècle, Joseph Mallord William Turner (1775-1851), peintre romantique ayant pour genre de prédilection le paysage. Il captura la lumière, le ciel, l’air, et les éléments de la nature avec émotions et sensibilité, de manière quasi surnaturelle. Carole Schoettel réinvente le genre du paysage. Plusieurs siècles plus tard, la place est faite à la Contemporaine Schoettel.
Selon le « sacré » Dictionnaire Larousse, le romantisme « (…) fait prévaloir le sentiment sur la raison et l’imagination sur l’analyse critique.(…) Son héritage s’articule à travers les thèmes qu’il privilégie (la nature, le moi, le rêve, l’étrange, le laid, l’infini, le passé national, la modernité…) et les formes qu’il impose (le roman gothique, le drame, l’épopée, le roman, le lied, l’opéra, le ballet).(…) ». Carole Schoettel hérite des thématiques, et se livre à l’épopée casaoui contemporaine.
Pandore-Shoettel
Casa-Pandor. « Ouvrir La boite de Pandore. ». Pandore, séductrice, belle, affable et intelligente, tout droit sortie d’un mythe gréco-latin, créée par Zeus pour punir Prométhée, le voleur du feu des dieux, qui le donna en offrande aux hommes. Pandore la curieuse, l’obstinée, ouvrit la jarre qui lui avait été confiée par Zeus, et qui renfermait les maux de l’humanité. En l’ouvrant, elle enleva à l’humanité sa faculté d’endurer ses malheurs, et la soumis à l’abomination. « Casa-Pandor ». Le titre de l’exposition laisse pensif. Carole Schoettel est-elle notre Pandore contemporaine ? Tout le laisserait à croire. Son autoportrait ne trompe pas, placé dans une alcôve discrète de la galerie. Carole Schoettel est une femme de grande beauté, et son don pour la peinture semble quasiment divin, perturbateur. Elle se place parmi ses portraits de femme, cherchant peut-être, discrète, à se fondre dans la masse, et c’est peine perdue. Son regard peint par ses gestes fascine. La curiosité furieuse de Pandore-Shoettel la pousse probablement à nous faire découvrir l’enveloppe de la boite d’images de notre époque, de notre ville. Sans sentir de menace ni se sentir chétif, au début, tant Carole Schoettel laisse échapper un regard doux, feutré et brut sur notre ville, qui nous propulse dans une atmosphère bullaire, cotonneuse. On se rend compte que les fameux « maux » sont suggérés. Ses peintures seraient-elle censées nous délivrer ? Nous faire découvrir, prendre le temps de regarder ?
Pandore-Schoettel laisse aussi entrevoir les bons et beaux côtés de Casablanca. Ces beautés se transforment à nos yeux en mélancolie, en douce nostalgie. Carole Schoettel arrête le temps casaoui. On reconnaît à peine notre ville au début. Puis on l’adopte, sous le regard doux et âpre de l’artiste. Duel de sentiments et de ressenti casaoui coutumier. Ici, on ressent une vague d’émotions tendres pour notre ville. On a envie de l’aimer. De la re-regarder. Comme un conjoint que l’on aurait l’habitude de voir, et qui tout d’un coup ramènerait notre regard à lui. Revoir, parce que l’on n’a jamais vraiment vu. Revoir avec habitude, certes, mais avec tendresse, malgré les tourments que nous inflige la ville. La revoir. Regarder son ciel, si beau. Se rappeler qu’elle fait partie d’un ensemble, qu’elle appartient à ce monde tout entier, qu’elle n’est pas qu’une immense tâche noire et fumeuse, ni uniquement des immeubles et de la poussière, et qu’elle a un ciel au-dessus de nous, un toit qui nous abrite tous.
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Portraits de femmes
Carole Schoettel ne se distingue pas seulement par les portraits de sa ville. Elle présente à la galerie Yakin et Boaz plusieurs portraits de terriens. Ou de terriennes dirai-je. La gente féminine, portraits de femmes de notre temps, aux toilettes intemporelles. « Corset rouge » présente une femme de profil, les yeux clos, semblant être submergée par la musique qui se dégage du casque enveloppant ses oreilles dissimulées. Son corset rouge rubis enserre et marque sa taille, tandis que l’une de ses bretelles se détache doucement de son épaule. La femme représentée semble être apaisée et libérée par le cocon protecteur créé par le son diffusé, et pourtant enserrée dans une tenue contraignante, qui l’attache et l’enserre. Paradoxes de la modernité face à la tradition ? La question reste en suspend. « Lacrymogène », œuvre-histoire, reprend le cliché devenue célèbre du photographe Osman Orsal, le 28 mai 2013 place Taksim, à Istanbul. Une jeune femme, en tenue légère, est éclaboussée par le jet violent d’un canon lacrymogène. Cette révolte protestataire contre les dérives autoritaires du pouvoir en place, devenue mouvement national, a secoué le peuple, et le pays tout entier. Carole Schoettel esthétise la scène, la personnalise, s’en accapare. Elle l’écrème pour ne retenir que la femme, au mouvement de tête flou, passager et crispé. Le fond dans lesquels elle incruste son personnage n’est pas figuratif. Elle laisse la femme, dans le mouvement, dans une ambiance nuageuse. On reconnaît néanmoins dans le choix du coloris de fond, le gaz lacrymogène de la scène du 28 mai. Carole Schoettel suggère finement la brutalité de la scène. Les portraits évoquent dans leur traitement, les portraits féminins de Felix Valloton (1865-1925), bruts et suaves. Artiste proche du groupe nabis, néanmoins inclassable, Felix Vallotton eut un attrait particulier pour la figure féminine, traçant des traits lisse, d’apparence détachée.
Casablanca, ville d’interprétations, de regards croisés, d’inspiration. Carole Schoettel nous emmène au creux d’une vague azur, au déferlement ocre des cieux, à l’obscurité moite de la ville blanche, à sa peau laiteuse et son halo irréel. L’œuvre « I love you », soleil aveuglant, hypnotique, nous absorbe et nous inspire un sentiment du sublime. Casablanca l’inspiratrice. Casablanca l’amoureuse et la haineuse.
« Casa-Pandore » est une exposition plaisir, pour s’élancer avec énergie, ardeur et détermination dans cette nouvelle cuvée 2014 ! La force de l’exposition est sans nul doute dans les histoires qu’elle entraîne dans nos imaginaires, qui poussent à la citation, à la réflexion, et qui donnent à chacun, selon ses références ou sensibilités, la possibilité d’être touché. « Casa-Pandore » nous plonge dans une ambiance sobre, élégante, feutrée, pudique et à la fois cosy et fauve. Mélange osé et manichéen, qui se marie pourtant si bien. Carole fait taire Casablanca et la fait parler à la fois. Installe le silence ou l’agitation. Subtilement. Les toiles expriment de la lenteur, du silence inhabituel, on est à la fois rassuré et angoissé. «Dualisme Casablanca », un concept à déposer de toute urgence !
Constance Durantou-Reilhac